5 ans dâapprentissage en investissement - đ«đ·
Cinq annĂ©es dâinvestissement, dâerreurs et dâapprentissage rĂ©sumĂ©es en principes clairs pour investir avec rigueur, luciditĂ© et discipline dans un marchĂ© complexe.
Il y a plus de cinq ans, jâai commencĂ© mon parcours en tant quâinvestisseur avec de lâenthousiasme, un peu de thĂ©orie, et surtout beaucoup Ă apprendre. Aujourdâhui, aprĂšs des centaines dâheures Ă lire des rapports financiers, des erreurs coĂ»teuses, des gains intĂ©ressants, et une profonde rĂ©flexion sur ce que signifie vraiment "investir intelligemment", je souhaite partager mes apprentissages. Ce que vous lirez ici nâest pas une mĂ©thode miracle, ni une promesse de rendement, mais un condensĂ© de rĂ©flexions concrĂštes et de pratiques rigoureuses qui ont transformĂ© ma maniĂšre dâaborder lâinvestissement.
Mon graphique commence en 2021 parce que mes investissements de 2019 à 2020 étaient passifs dans BRK.B et des ETF (SP500 & TSX). J'ai réellement commencé l'investissement actif aprÚs 2 ans d'apprentissage.
Lire les rapports financiers comme un détective
Un bon investisseur ne lit pas un rapport financier : il le dĂ©cortique. Chaque note de bas de page, chaque changement comptable, chaque ligne du proxy statement peut contenir une information cruciale. Jâai appris que les dĂ©tails ne sont pas lĂ pour faire joli â ils sont souvent les dĂ©clencheurs dâidĂ©es ou de signaux dâalerte.
Les notes aux Ă©tats financiers sont une mine dâor. Ce sont elles qui vous rĂ©vĂšlent, par exemple, quâune entreprise a modifiĂ© sa mĂ©thode dâamortissement, ce qui peut gonfler artificiellement le rĂ©sultat net. Apple, en 2010, a modifiĂ© une normes comptables â ce dĂ©tail isolĂ© a eu un impact significatif sur son compte de rĂ©sultat.
Adoption rétrospective des normes comptables modifiées
Les nouveaux principes comptables conduisent la société à comptabiliser la quasi-totalité du chiffre d'affaires et du coût des produits pour l'iPhone et l'Apple TV lorsque ces produits sont livrés aux clients. Selon les principes comptables historiques, la société devait comptabiliser les ventes d'iPhone et d'Apple TV selon la méthode de l'abonnement, car elle avait indiqué qu'elle pourrait, à l'avenir, fournir gratuitement des mises à jour et des fonctions logicielles non spécifiées pour ces produits. Dans le cadre de la comptabilité par abonnement, le chiffre d'affaires et le coût des produits associés à l'iPhone et à l'Apple TV ont été différés au moment de la vente et comptabilisés de maniÚre linéaire sur la durée de vie économique estimée de chaque produit. Cela a entraßné le report de montants importants de revenus et de coûts de vente liés à l'iPhone et à l'Apple TV. Apple ayant commencé à vendre l'iPhone et l'Apple TV au cours de l'exercice 2007, la société a adopté rétrospectivement les nouveaux principes comptables comme si ces derniers avaient été appliqués à toutes les périodes antérieures ...
Comprendre les diffĂ©rences entre les normes comptables GAAP et IFRS est essentiel. Une mĂȘme entreprise peut sembler performante sous GAAP et bien moins impressionnante sous IFRS, ou vice versa.
Le proxy statement et la lettre annuelle aux actionnaires vous informent sur la gouvernance, la rĂ©munĂ©ration des dirigeants, et leur alignement avec les actionnaires. Soyez particuliĂšrement attentifs aux modifications rĂ©troactives des stock-options aprĂšs une baisse du cours : câest rarement un bon signe. Cela vous Ă©conomisera beaucoup de temps avant de commencer Ă consacrer des centaines d'heures Ă l'analyse de la sociĂ©tĂ©.
Lire les notes sur les Ă©vĂ©nements : une source dâalpha ignorĂ©e
Parmi toutes les sections dâun rapport financier, la note sur les Ă©vĂ©nements significatifs ou subsĂ©quents est lâune des plus sous-estimĂ©es â et pourtant, câest souvent lĂ que se cache une partie du futur. Ces sections, appelĂ©es "Significant Events" ou "Subsequent Events", rĂ©vĂšlent des Ă©lĂ©ments rĂ©cents ou Ă venir qui ne sont pas encore reflĂ©tĂ©s dans les Ă©tats financiers.
Ces Ă©vĂ©nements peuvent inclure lâobtention ou la perte dâun contrat important, un litige juridique, une levĂ©e de fonds, une acquisition, un changement de direction, ou mĂȘme une catastrophe naturelle ayant affectĂ© les opĂ©rations. Ils sont parfois divulguĂ©s entre la fin de la pĂ©riode couverte par le rapport et la publication du document.
Lire cette note peut vous fournir un catalyseur avant le marchĂ©. En effet, beaucoup dâinvestisseurs se contentent des chiffres principaux ou dâun survol des rapports. Identifier un Ă©vĂ©nement significatif avant quâil ne soit intĂ©grĂ© dans les prĂ©visions des analystes peut offrir un avantage informationnel important.
Exemple : une petite entreprise industrielle mentionne dans ses notes quâelle a signĂ© un contrat de 20 millions $ avec un nouveau client europĂ©en, mais ne lâa pas encore intĂ©grĂ© dans son chiffre dâaffaires car la livraison commence au prochain trimestre. Le marchĂ© nâa pas encore rĂ©agi, car cette info nâapparaĂźt pas dans les communiquĂ©s de presse. Pour lâinvestisseur attentif, cela peut justifier une réévaluation immĂ©diate du titre.
Certains Ă©vĂ©nements peuvent aussi ĂȘtre nĂ©gatifs, comme un rappel de produit, une cyberattaque ou une fermeture temporaire dâune usine. LĂ encore, mieux vaut les repĂ©rer avant que le marchĂ© ne les price dans le cours.
Enfin, ces notes vous permettent de tester la transparence du management. Un dirigeant qui communique ouvertement sur les risques et les Ă©vĂ©nements rĂ©cents, mĂȘme dĂ©favorables, dĂ©montre une gouvernance plus saine quâun autre qui tente de minimiser ou de cacher lâinformation.
Ne sautez jamais cette section. Elle est brĂšve, mais souvent cruciale. Câest lĂ que se prĂ©parent les surprises â bonnes ou mauvaises. Et dans un monde oĂč lâinformation est la monnaie, cette petite note peut valoir beaucoup.
Lâart dâajuster les chiffres : la comptabilitĂ© nâest pas une science exacte
La comptabilitĂ© est un langage, mais aussi un art. Et parfois, cet art est utilisĂ© pour embellir la rĂ©alitĂ©. Câest pourquoi jâai appris Ă toujours "nettoyer" les Ă©tats financiers pour me faire ma propre idĂ©e.
Les amortissements et les dĂ©prĂ©ciations peuvent ĂȘtre utilisĂ©s pour manipuler les profits. Il est crucial de retraiter ces postes pour avoir une vision claire et comparable. Cela peut nous aider Ă savoir si nous avons un CFO et un CEO prudents, ou au contraire, un jugement limite irresponsable ou trompeur. Par exemple, dans le secteur du cloud, Amazon, Google et Microsoft utilisent tous des durĂ©es dâamortissement diffĂ©rentes pour leurs centres de donnĂ©es. Une entreprise amortit ses CPU, RAM, disques sur 4-5 ans, une autre sur 7 ans. La diffĂ©rence de charges comptables peut fausser toute comparaison entre concurrents si elle nâest pas ajustĂ©e.
Certains dirigeants profitent des rĂšgles comptables flexibles pour inscrire de grandes charges de dĂ©prĂ©ciation lors dâune mauvaise annĂ©e, crĂ©ant une base faible pour rebondir artificiellement lâannĂ©e suivante â une technique appelĂ©e "big bath accounting". Ce genre de manipulation ne saute pas aux yeux si lâon ne lit pas les notes explicatives aux Ă©tats financiers.
Les ratios bruts comme EV/EBITDA sont encore trop utilisĂ©s malgrĂ© leurs limites. Ce ratio ignore les investissements en capital (CAPEX), et ne reflĂšte donc pas la rĂ©alitĂ© Ă©conomique dâune entreprise. Il peut ĂȘtre utile pour comparer des sociĂ©tĂ©s en redressement, mais pour un investisseur Ă long terme, il est souvent trompeur.
Privilégiez des mesures ajustées comme EV/EBIT, EV/NOPAT, ROIC et ROIIC, qui tiennent compte de la rentabilité opérationnelle réelle et du capital investi. Ce sont ces indicateurs qui vous diront si une entreprise crée de la valeur réelle.
Le vrai test dâun bon investissement est sa capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer un ROIC ou ROIIC supĂ©rieur au coĂ»t du capital ajustĂ© pour lâinflation. Cela permet dâĂ©viter de tomber dans des value traps.
Ne faites jamais aveuglĂ©ment confiance aux chiffres bruts. Nettoyez-les, ajustez-les, remettez-les en perspective. La comptabilitĂ© est mallĂ©able, mais votre analyse ne doit pas lâĂȘtre.
Construire une thĂšse dâinvestissement crĂ©dible et justifiable
Lâun des piĂšges les plus courants en investissement est de bĂątir une thĂšse ambitieuse⊠sans pouvoir la justifier concrĂštement. Une projection de croissance ne vaut rien si elle nâest pas Ă©tayĂ©e par des Ă©lĂ©ments tangibles. Un bon investisseur doit ĂȘtre capable dâexpliquer comment et pourquoi une entreprise atteindra les objectifs fixĂ©s dans son scĂ©nario.
Par exemple, si vous anticipez une croissance des revenus de 20 % par an pendant trois ans, vous devez ĂȘtre en mesure de justifier cette hypothĂšse. Cela peut passer par :
Lâouverture de nouveaux magasins ou points de vente.
La signature rĂ©cente dâun contrat majeur avec un client important.
Le lancement dâun nouveau produit ou service, avec des projections de ventes soutenues.
Une expansion géographique dans une nouvelle région ou un nouveau pays.
Lâouverture imminente dâune nouvelle usine augmentant la capacitĂ© de production.
Une hausse confirmée des prix ou des marges, soutenue par une innovation ou une position dominante sur le marché.
Exemple : Une entreprise de biens de consommation annonce l'ouverture de 50 nouveaux magasins au Mexique et au Brésil au cours des deux prochaines années. Elle indique que chaque point de vente génÚre en moyenne 1,5 million de dollars de ventes annuelles. Cette donnée permet de modéliser une croissance prévisible du chiffre d'affaires avec des hypothÚses vérifiables.
En revanche, une thÚse fondée uniquement sur un retour à la moyenne, sans événement déclencheur ou catalyseur visible, est fragile. Il faut des éléments concrets et quantifiables pour justifier vos hypothÚses clés.
Posez-vous toujours cette question : "Et pourquoi est-ce que cela devrait se produire ?" Si la réponse est vague ou basée sur un ressenti, vous devez creuser davantage.
Une thĂšse dâinvestissement solide repose sur une logique claire, des chiffres dĂ©fendables, et une comprĂ©hension intime du modĂšle dâaffaires. Plus votre thĂšse est simple Ă expliquer et Ă justifier, plus elle a de chances dâĂȘtre correcte â et rentable.
Lâimportance du fonds de roulement (working capital)
Le fonds de roulement, ou "working capital", est une des composantes les plus nĂ©gligĂ©es mais les plus critiques de lâanalyse financiĂšre. Il reprĂ©sente les ressources Ă court terme disponibles pour faire tourner lâentreprise : stocks, crĂ©ances clients, dettes fournisseurs. Une mauvaise gestion du fonds de roulement peut dĂ©truire une entreprise, peu importe sa rentabilitĂ© apparente.
Un fonds de roulement nĂ©gatif peut ĂȘtre un excellent signe dans certaines industries (comme le retail ou les modĂšles Ă flux de trĂ©sorerie rapide), car cela signifie que lâentreprise est payĂ©e avant dâavoir Ă payer ses fournisseurs.
Ă lâinverse, un accroissement incontrĂŽlĂ© des comptes clients ou des stocks peut signaler un ralentissement des ventes, des problĂšmes dâĂ©coulement ou une dĂ©tĂ©rioration de la qualitĂ© des revenus.
Exemple de bonne gestion : Amazon a pendant longtemps bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun fonds de roulement nĂ©gatif, payant ses fournisseurs Ă 90 jours alors quâelle recevait lâargent des clients immĂ©diatement. Cela lui a permis de financer sa croissance sans diluer ses actionnaires.
Exemple de mauvaise gestion : Une entreprise industrielle qui voit ses stocks exploser sans croissance des revenus peut souffrir dâun effet ciseaux : immobilisation du cash, coĂ»ts de stockage, obsolescence, voire pertes massives.
Le fonds de roulement est aussi un indicateur indirect de la qualitĂ© du management : un bon dirigeant optimise les flux sans compromettre la croissance, en gardant un Ćil sur les dĂ©lais de paiement, les niveaux de stocks, et la rotation des crĂ©ances.
Pour lâinvestisseur, surveiller lâĂ©volution du fonds de roulement dâune annĂ©e Ă lâautre (et en proportion du chiffre dâaffaires) permet dâanticiper des tensions de liquiditĂ© ou de dĂ©couvrir des sociĂ©tĂ©s exceptionnellement efficaces.
Le facteur temps : lâennemi invisible du rendement
Le rendement ne se mesure pas seulement en pourcentage, mais aussi en temps. Une opportunitĂ© qui promet 100 % de rendement peut sembler sĂ©duisante, mais si elle prend 5 ou 6 ans Ă se matĂ©rialiser, son rendement annualisĂ© (IRR) devient bien moins intĂ©ressant quâun autre investissement plus modeste mais plus rapide. Le temps est un facteur souvent ignorĂ©, mais il a un impact direct sur votre performance globale.
Toujours comparer le rendement annualisĂ© (IRR) au temps total nĂ©cessaire pour rĂ©aliser le gain (TRW : Time to Realize the Win). Un investissement peut avoir un bon rendement absolu mais ĂȘtre une mauvaise dĂ©cision si le TRW est trop long.
Exemple : Si vous investissez dans une action Ă 10 $ et quâelle atteint 20 $ en 5 ans, vous avez doublĂ© votre mise. Mais cela correspond Ă un rendement annuel dâenviron 15 %. Une autre opportunitĂ© qui vous donne 40 % en 18 mois, mĂȘme si elle semble moins "sĂ©curitaire", est en rĂ©alitĂ© beaucoup plus efficace en termes de rotation de capital.
Le facteur temps devient encore plus important dans des portefeuilles concentrés. Attendre 5 ans pour chaque idée immobilise trop de capital et réduit mécaniquement le nombre de coups que vous pouvez jouer dans une décennie.
Ne jamais faire de prĂ©dictions Ă plus de 2 ans. Les variables macroĂ©conomiques, les disruptions technologiques et les changements rĂ©glementaires rendent les prĂ©visions longues trop incertaines pour ĂȘtre utiles. Il est prĂ©fĂ©rable de construire des thĂšses qui se rĂ©alisent dans un horizon de 12 Ă 24 mois, avec une sortie claire basĂ©e sur des catalyseurs identifiĂ©s.
PlutĂŽt que de vous appuyer sur des modĂšles DCF complexes avec des taux dâactualisation arbitraires (2 %, 6 %, 10 %...), privilĂ©giez lâusage dâun multiple de sortie conservateur basĂ© sur lâhistorique du secteur ou sur des comparables directs. Cela rĂ©duit les biais et vous oblige Ă rester ancrĂ© dans la rĂ©alitĂ© du marchĂ©.
Exemple : Une société se négocie à 5x EV/EBIT alors que la moyenne historique du secteur est de 9x. Si votre thÚse repose sur un retour à la moyenne sur 18 mois, et que vous estimez que le bénéfice reste stable, vous pouvez calculer un rendement réaliste et temporellement cadré.
Enfin, rappelez-vous que le capital bloquĂ© est du capital qui ne peut pas ĂȘtre rĂ©allouĂ©. Un investissement "potentiellement bon" dans 4 ou 5 ans a un coĂ»t dâopportunitĂ© Ă©levĂ© si, pendant ce temps, vous manquez de meilleures opportunitĂ©s.
Un bon investissement est non seulement rentable, mais rapide Ă se concrĂ©tiser. Le facteur temps est invisible, mais il dĂ©termine votre capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer de la performance sur la durĂ©e. Apprenez Ă lâintĂ©grer dĂšs lâanalyse initiale.
Trouver des opportunités EV+ et les garder simples
Les meilleures opportunitĂ©s dâinvestissement sont souvent les plus simples. La complexitĂ© nâest pas un gage de qualitĂ© â au contraire, elle peut masquer des risques, diluer la thĂšse dâinvestissement et rendre le suivi plus difficile. Mon expĂ©rience mâa appris que la simplicitĂ© est une arme puissante, surtout quand elle sâaccompagne de rigueur.
Les micro-caps sont particuliĂšrement intĂ©ressantes. Elles sont souvent ignorĂ©es par les analystes institutionnels, ont peu ou pas de couverture mĂ©diatique, et publient des documents financiers courts et directs. Il est ainsi possible dâavoir un avantage informationnel simplement en lisant attentivement ce que la majoritĂ© nĂ©glige.
Exemple : McCoy Global Inc., une micro-cap canadienne spĂ©cialisĂ©e dans les Ă©quipements et services destinĂ©s au secteur de lâĂ©nergie, a longtemps Ă©tĂ© ignorĂ©e par le marchĂ©. Elle possĂšde une technologie propriĂ©taire dans un crĂ©neau trĂšs spĂ©cifique, une base de clients fidĂšles Ă lâinternational, et une gestion prudente de ses liquiditĂ©s. MalgrĂ© une capitalisation boursiĂšre modeste, lâentreprise affiche une position de trĂ©sorerie nette, une rentabilitĂ© positive mĂȘme dans un cycle bas du secteur, et une volontĂ© claire de crĂ©er de la valeur pour lâactionnaire, notamment via des rachats dâactions opportunistes. Sa prĂ©sentation aux investisseurs tient en une quinzaine de pages, et ses rapports sont concis et transparents. Une thĂšse dâinvestissement simple : actif tangible, Ă©quipe expĂ©rimentĂ©e, marchĂ© de niche, et valorisation trĂšs basse.
Lâobjectif est de trouver des situations EV+, câest-Ă -dire oĂč la valeur attendue est significativement positive en tenant compte du risque, du temps, et de lâincertitude. Pour y arriver, vous devez avoir une marge de sĂ©curitĂ©, câest-Ă -dire acheter en dessous de votre estimation raisonnable de la valeur intrinsĂšque. Câest le cĆur de lâinvestissement fondamental.
Un portefeuille concentrĂ© (10 Ă 12 positions) est idĂ©al. Il permet de bien suivre chaque entreprise, de ne pas se disperser, et de maintenir une vraie exigence qualitative. Pour maintenir un tel portefeuille, il suffit de trouver 3 Ă 4 nouvelles idĂ©es solides par an, ce qui est rĂ©aliste si vous ĂȘtes disciplinĂ© et structurĂ©.
Posez toujours la question : pourquoi cette opportunitĂ© existe-t-elle encore ? Peut-ĂȘtre que le marchĂ© lâignore Ă cause de sa petite taille, dâun manque de liquiditĂ©, ou dâun Ă©vĂ©nement temporaire mal interprĂ©tĂ©. Mais si vous ne trouvez aucune explication raisonnable, soyez prudent â il se peut que vous ayez ratĂ© quelque chose.
Autres exemples dâopportunitĂ©s EV+ : Velan Inc., un fabricant quĂ©bĂ©cois de vannes industrielles, dont le rachat par Flowserve a Ă©tĂ© bloquĂ© par les autoritĂ©s françaises. Cela a provoquĂ© une chute du titre, malgrĂ© la soliditĂ© du bilan, la prĂ©sence dâactifs industriels tangibles, et un carnet de commandes bien rempli. Une situation typique oĂč lâĂ©motion du marchĂ© crĂ©e un dĂ©salignement entre le prix et la valeur rĂ©elle.
La simplicitĂ© permet la clartĂ©. Elle rend le suivi plus rigoureux, les erreurs plus faciles Ă repĂ©rer, et lâanalyse plus pertinente. Dans un monde dâinformations surchargĂ©es, la capacitĂ© Ă identifier une opportunitĂ© simple mais mal comprise est une compĂ©tence prĂ©cieuse. Gardez votre processus simple, mais votre exigence haute.
Ăvitez les mega-caps surĂ©valuĂ©es, privilĂ©giez la croissance des micro-caps
Acheter une mĂ©ga-cap Ă plus de 20-25 fois les bĂ©nĂ©fices (P/E) est trĂšs cher, surtout dans un environnement oĂč les taux sont plus Ă©levĂ©s et la croissance plafonnĂ©e. Pourtant, beaucoup dâinvestisseurs semblent lâavoir oubliĂ©.
Les sociĂ©tĂ©s qui intĂšgrent le S&P 500 ont, selon les statistiques historiques, 95 % de chances de ne plus y figurer dans les 25 prochaines annĂ©es â que ce soit par faillite, rachat, stagnation ou perte de pertinence. Miser sur leur longĂ©vitĂ© comme garantie de sĂ©curitĂ© est une erreur.
Ă lâopposĂ©, une micro-cap en trĂšs forte croissance, mĂȘme achetĂ©e Ă un multiple Ă©levĂ© comme 25x, a souvent plus de chances de succĂšs si le modĂšle dâaffaires est sain, les marges en expansion et le marchĂ© adressable encore large.
Ce nâest pas le niveau absolu du multiple qui compte, mais le potentiel de croissance sous-estimĂ© et la capacitĂ© Ă rĂ©investir Ă haut rendement. Dans les micro-caps, vous achetez souvent avant la dĂ©couverte, alors que dans les mĂ©ga-caps, vous achetez aprĂšs que tout le monde a dĂ©jĂ payĂ© cher pour la sĂ©curitĂ© perçue.
Focus, discipline et humilité : les piliers sous-estimés
Investir avec ambition nĂ©cessite de la concentration. Viser des rendements annuels de 15 %, 20 %, voire 30 % sans y consacrer un temps significatif est irrĂ©aliste â sauf avec beaucoup de chance, et ça, ce nâest pas une stratĂ©gie. Une bonne performance repose sur une mĂ©thode structurĂ©e, des heures dâanalyse, une forte discipline mentale⊠et une bonne dose dâhumilitĂ©.
Aujourdâhui, les marchĂ©s sont plus rĂ©glementĂ©s, plus transparents, et les investisseurs plus Ă©duquĂ©s que jamais. Les bases de donnĂ©es sont accessibles Ă tous, les algorithmes et lâintelligence artificielle renforcent la concurrence. Penser battre le marchĂ© sans effort est une illusion dangereuse.
MĂȘme les petites capitalisations, autrefois rĂ©servĂ©es aux initiĂ©s, sont aujourdâhui bien couvertes par des investisseurs institutionnels, des newsletters spĂ©cialisĂ©es ou des plateformes collaboratives. Pour conserver un avantage, vous devez ĂȘtre plus rapide, plus indĂ©pendant, ou simplement plus disciplinĂ© que les autres.
La discipline, câest savoir dire non. Ne pas cĂ©der Ă la pression de devoir toujours ĂȘtre investi. Parfois, la meilleure dĂ©cision est dâattendre. Par exemple, garder du cash pendant trois mois parce que rien ne rĂ©pond Ă vos critĂšres est bien plus productif que de forcer un investissement mĂ©diocre.
Il faut aussi ĂȘtre honnĂȘte avec soi-mĂȘme : peu de gens peuvent suivre activement 30 ou 40 positions. Un portefeuille concentrĂ©, suivi activement, est souvent plus performant quâun portefeuille trop diversifiĂ© oĂč chaque position devient floue. ConnaĂźtre profondĂ©ment 10 Ă 12 entreprises prend dĂ©jĂ beaucoup de temps.
L'investissement Ă long terme est souvent idĂ©alisĂ© Ă tort. Bien sĂ»r, lâidĂ©e de garder une entreprise 10, 15 ou 20 ans est sĂ©duisante. Mais ces entreprises sont rarissimes. Les marchĂ©s Ă©voluent, les cycles tournent, la concurrence change. Il est normal â et sain â de vendre aprĂšs 1, 2 ou 5 ans si la thĂšse dâinvestissement a atteint son objectif ou si une meilleure opportunitĂ© se prĂ©sente.
Exemple : Une entreprise que vous avez achetĂ©e Ă un P/E de 8 avec un catalyseur identifiĂ© (restructuration, changement de direction, dĂ©sendettement) voit son multiple grimper Ă 18 en deux ans. MĂȘme si elle continue de croĂźtre, votre rendement futur attendu baisse. Ă ce moment-lĂ , vendre pour rĂ©investir dans une autre entreprise plus sous-Ă©valuĂ©e est un acte rationnel, non une trahison de la philosophie long terme.
Enfin, il faut de lâhumilitĂ©. MĂȘme avec toute lâanalyse du monde, vous allez avoir tort. Et parfois, vous aurez raison pour de mauvaises raisons. Acceptez-le. Apprenez. RĂ©visez vos processus. Ce qui compte, câest la cohĂ©rence de vos dĂ©cisions dans le temps, pas la perfection de chaque position.
Le focus vous aide Ă aller au fond des dossiers. La discipline vous empĂȘche de dĂ©river. LâhumilitĂ© vous maintient sur le bon chemin. Ces trois qualitĂ©s sont invisibles sur une feuille Excel, mais essentielles pour durer et performer.
Miser sur un bon management, pas juste sur des chiffres
Une entreprise est souvent le reflet de son Ă©quipe dirigeante. Le CEO, le CFO, le COO et le prĂ©sident du conseil sont des personnes clĂ©s dont il faut analyser lâhistorique, les comportements et les intentions stratĂ©giques. Une bonne Ă©quipe de direction peut transformer un modĂšle dâaffaires ordinaire en un gĂ©nĂ©rateur de valeur, tandis quâune mauvaise peut ruiner les meilleures idĂ©es.
Faites vos devoirs : recherchez leurs anciens postes, les entreprises quâils ont dirigĂ©es, et les rĂ©sultats quâils ont obtenus. Un dirigeant qui a bĂąti une entreprise prospĂšre de maniĂšre Ă©thique est un signal positif. Un dirigeant qui a sautĂ© dâune entreprise Ă une autre tous les deux ans sans rĂ©sultats visibles peut ĂȘtre un signal dâalerte.
Ăcoutez leurs paroles et regardez leurs actions : les transcriptions d'appels trimestriels, les lettres aux actionnaires, les entrevues mĂ©diatiques sont des mines dâor. Est-ce quâils assument leurs erreurs ? Est-ce quâils parlent de croissance durable ou uniquement de bĂ©nĂ©fices Ă court terme ? Est-ce quâils communiquent avec transparence ou utilisent des termes vagues ?
Analysez la structure de rĂ©munĂ©ration : un bon alignement entre la rĂ©munĂ©ration des dirigeants et la performance Ă long terme est essentiel. Par exemple, une rĂ©munĂ©ration majoritairement composĂ©e dâoptions avec des objectifs clairs de performance sur plusieurs annĂ©es est beaucoup plus crĂ©dible quâun Ă©norme bonus en cash versĂ© peu importe les rĂ©sultats.
Exemples concrets de dĂ©rives : certaines entreprises technologiques ont rĂ©duit rĂ©troactivement les prix dâexercice des stock-options aprĂšs une chute du titre, ce qui rĂ©compense les dirigeants malgrĂ© un Ă©chec stratĂ©gique. Dâautres ont attribuĂ© massivement des actions Ă des dirigeants au moment dâune levĂ©e de fonds, diluant les actionnaires existants sans justification Ă©conomique.
Exemple positif : dans une micro-cap industrielle que jâai analysĂ©e, le CEO Ă©tait le fondateur de la sociĂ©tĂ©, possĂ©dait plus de 30 % des actions, prenait un salaire modeste, et rachetait rĂ©guliĂšrement des actions sur le marchĂ© libre. Il faisait trĂšs peu de communication publique, mais ses dĂ©cisions Ă©taient alignĂ©es avec les actionnaires Ă chaque Ă©tape. Câest exactement le type de comportement que je recherche.
Le management nâest pas un facteur secondaire. Il peut faire toute la diffĂ©rence. Un excellent management avec un mauvais produit a parfois plus de chances de rĂ©ussite quâun mauvais management avec une idĂ©e gĂ©niale. Soyez intransigeant : vous investissez autant dans les personnes que dans les chiffres.
Le retour aux actionnaires : un facteur de performance crucial
Le retour du capital aux actionnaires est un signal puissant de maturitĂ©, de discipline financiĂšre et de respect envers les propriĂ©taires de lâentreprise. Mais comme pour tout, ce nâest pas le geste qui compte, câest le contexte, le timing et lâexĂ©cution.
Le free cash flow (FCF) est lâarme principale dâune entreprise pour crĂ©er de la valeur. Si elle est capable de le rĂ©investir dans des projets avec un ROIC supĂ©rieur au coĂ»t du capital plus lâinflation, câest souvent la meilleure utilisation possible. Cela signifie que chaque dollar rĂ©investi gĂ©nĂšre plus quâun dollar en retour.
Mais dĂšs que ces opportunitĂ©s de croissance se rarĂ©fient ou deviennent moins intĂ©ressantes, ce cash doit ĂȘtre retournĂ© aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachats dâactions. Ce choix est stratĂ©gique et doit reflĂ©ter la rĂ©alitĂ© Ă©conomique de lâentreprise, pas une mode financiĂšre ou une volontĂ© de faire monter artificiellement le cours.
Les rachats dâactions ne crĂ©ent de la valeur que dans un contexte prĂ©cis : quand le prix de lâaction est infĂ©rieur Ă sa valeur intrinsĂšque. Sinon, lâentreprise dilapide son capital, diminue artificiellement le PER, et affaiblit son bilan.
Exemple de mauvaise exécution : une entreprise du secteur de la technologie ayant connu un pic post-COVID a dépensé 500 millions de dollars en rachats au sommet de son cours, à plus de 40x ses bénéfices. Deux ans plus tard, le titre avait perdu 60 % et la société se retrouvait endettée inutilement. Résultat : destruction de valeur, perte de crédibilité, et réduction de flexibilité.
Exemple positif : NVR Inc., un constructeur de maisons amĂ©ricain, est un exemple remarquable de discipline en matiĂšre de rachats dâactions. Lâentreprise ne verse pas de dividende mais utilise systĂ©matiquement son free cash flow pour racheter ses propres actions, et ce depuis plus de 20 ans. Ces rachats sont faits de façon opportuniste, souvent Ă des niveaux de valorisation attractifs. RĂ©sultat : le nombre dâactions en circulation a Ă©tĂ© rĂ©duit de plus de 75 %, tout en maintenant une structure financiĂšre conservatrice, avec trĂšs peu de dettes et une rentabilitĂ© exceptionnelle. NVR est un modĂšle dâallocation de capital rationnelle dans un secteur pourtant trĂšs cyclique.
Les dividendes, quant Ă eux, sont souvent sous-estimĂ©s dans le monde de lâinvestissement moderne. Pourtant, ils constituent un vĂ©ritable moteur de performance Ă long terme, surtout lorsquâils sont rĂ©investis. Une entreprise qui verse un dividende rĂ©gulier et croissant, tout en gardant une politique dâendettement saine, montre sa capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer du cash rĂ©el et durable.
Attention aux secteurs cycliques comme les mines, lâĂ©nergie ou la construction. Dans ces industries, les flux de trĂ©sorerie peuvent fluctuer Ă©normĂ©ment selon les cycles Ă©conomiques ou les prix des matiĂšres premiĂšres. Dans ce cas, il est prĂ©fĂ©rable de constituer une rĂ©serve ou de verser un dividende variable, plutĂŽt que de sâengager dans des buybacks qui peuvent se rĂ©vĂ©ler dĂ©sastreux en pĂ©riode de retournement.
Un bon retour au capital est un acte de gestion responsable. Il reflĂšte la confiance de lâentreprise dans sa capacitĂ© Ă gĂ©nĂ©rer du cash et dans la valorisation de ses propres actions. Mais il doit ĂȘtre basĂ© sur une analyse rigoureuse, non sur des signaux de façade.
Apprendre, documenter, répéter
Investir, câest aussi apprendre constamment et bien sâoutiller. Un investisseur ne cesse jamais de progresser, car chaque cycle de marchĂ©, chaque entreprise, chaque erreur apporte de nouvelles leçons.
Tenez une base de donnĂ©es personnelle et structurĂ©e : que ce soit via un fichier Excel, une application maison ou un logiciel dĂ©diĂ©, documentez chaque idĂ©e dâinvestissement, avec les hypothĂšses de dĂ©part, les catalyseurs, les risques, les mises Ă jour, et les rĂ©sultats. Cela vous permet de mesurer votre progression, mais aussi de tirer des leçons concrĂštes de vos erreurs.
Fiez-vous aux sources officielles : rapports annuels (10-K), rapports trimestriels (10-Q), proxy statements (DEF 14A), transcriptions dâappels, dĂ©pĂŽts SEDAR ou EDGAR. Ăvitez les plateformes qui rĂ©sument ou interprĂštent les donnĂ©es sans transparence sur leurs mĂ©thodes. Une simple mauvaise interprĂ©tation sur Seeking Alpha, par exemple, peut vous faire rater un dĂ©tail crucial.
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Financial Intelligence
The Personal MBA
Les appels aux actionnaires sont une mine dâor : vous y entendrez les dirigeants parler de leur rĂ©alitĂ© opĂ©rationnelle, de leurs craintes, des tendances macro sectorielles, de la concurrence. Ce sont souvent les premiĂšres sources Ă mentionner des pressions sur les marges, une hausse des coĂ»ts logistiques, ou un changement rĂ©glementaire Ă venir dans un pays.
Les appels aux actionnaires sont une meilleure source macroĂ©conomique que les rapports dâĂ©conomistes : ils vous parlent directement de ce que vivent les entreprises sur le terrain.
Exemple : lors dâun appel trimestriel dâune entreprise de transport canadienne, le CEO a briĂšvement mentionnĂ© que lâaccĂšs au port de Vancouver allait ĂȘtre temporairement restreint en raison de travaux. Cette information, absente du rapport Ă©crit, sâest rĂ©vĂ©lĂ©e critique pour lâun de leurs segments logistiques, impactant fortement le trimestre suivant.
Enfin, dĂ©veloppez un processus rĂ©pĂ©table. Lâanalyse dâune nouvelle entreprise devrait suivre les mĂȘmes Ă©tapes que la prĂ©cĂ©dente. Cela rĂ©duit les biais, amĂ©liore la rigueur, et vous donne des points de comparaison utiles.
Lâapprentissage est un avantage cumulatif. Plus vous ĂȘtes structurĂ© dans votre façon dâapprendre et de documenter, plus votre jugement devient affĂ»tĂ© avec le temps.
RĂšgles finales, philosophie personnelle et convictions personnelles
Les ratios comptables sans ajustement peuvent ĂȘtre plus nocifs quâutiles. Faites toujours vos propres calculs.
Vous nâavez pas besoin de briller intellectuellement : le but est de gagner de lâargent avec cohĂ©rence.
Cherchez constamment des dĂ©cisions EV+ avec des marges de sĂ©curitĂ© â cela reste la boussole principale. Ne dĂ©rogez jamais Ă cette rĂšgle.
Nâinvestissez jamais dans ce que vous ne comprenez pas.
Toujours répondre à la question : pourquoi cette opportunité existe-t-elle ? Pourquoi est-ce que vous avez raison, et le marché tort ?
Un bon writeup fait rarement plus de 5 pages. Ce nâest pas la longueur qui fait la qualitĂ©, mais la clartĂ©.
Nâessayez pas dâĂȘtre le plus intelligent dans la piĂšce. Essayez dâĂȘtre le plus lucide.
Conclusion
AprĂšs cinq annĂ©es dâinvestissement actif, une chose est claire : ce mĂ©tier demande de la rigueur, du rĂ©alisme et de lâhumilitĂ©. Il ne sâagit pas dâavoir toujours raison, mais dâĂ©viter les grosses erreurs, de chercher la vĂ©ritĂ© Ă©conomique derriĂšre les chiffres, et de prendre le temps de bien faire les choses.
Gardez votre processus simple, soyez curieux, remettez-vous en question, et souvenez-vous que ne rien faire est souvent une excellente décision.
Dans un monde bruyant, lâinvestisseur disciplinĂ© et silencieux a encore toutes ses chances.
-Max