5 ans d’apprentissage en investissement - 🇫🇷
Cinq années d’investissement, d’erreurs et d’apprentissage résumées en principes clairs pour investir avec rigueur, lucidité et discipline dans un marché complexe.
Il y a plus de cinq ans, j’ai commencé mon parcours en tant qu’investisseur avec de l’enthousiasme, un peu de théorie, et surtout beaucoup à apprendre. Aujourd’hui, après des centaines d’heures à lire des rapports financiers, des erreurs coûteuses, des gains intéressants, et une profonde réflexion sur ce que signifie vraiment "investir intelligemment", je souhaite partager mes apprentissages. Ce que vous lirez ici n’est pas une méthode miracle, ni une promesse de rendement, mais un condensé de réflexions concrètes et de pratiques rigoureuses qui ont transformé ma manière d’aborder l’investissement.
Mon graphique commence en 2021 parce que mes investissements de 2019 à 2020 étaient passifs dans BRK.B et des ETF (SP500 & TSX). J'ai réellement commencé l'investissement actif après 2 ans d'apprentissage.
Lire les rapports financiers comme un détective
Un bon investisseur ne lit pas un rapport financier : il le décortique. Chaque note de bas de page, chaque changement comptable, chaque ligne du proxy statement peut contenir une information cruciale. J’ai appris que les détails ne sont pas là pour faire joli — ils sont souvent les déclencheurs d’idées ou de signaux d’alerte.
Les notes aux états financiers sont une mine d’or. Ce sont elles qui vous révèlent, par exemple, qu’une entreprise a modifié sa méthode d’amortissement, ce qui peut gonfler artificiellement le résultat net. Apple, en 2010, a modifié une normes comptables — ce détail isolé a eu un impact significatif sur son compte de résultat.
Adoption rétrospective des normes comptables modifiées
Les nouveaux principes comptables conduisent la société à comptabiliser la quasi-totalité du chiffre d'affaires et du coût des produits pour l'iPhone et l'Apple TV lorsque ces produits sont livrés aux clients. Selon les principes comptables historiques, la société devait comptabiliser les ventes d'iPhone et d'Apple TV selon la méthode de l'abonnement, car elle avait indiqué qu'elle pourrait, à l'avenir, fournir gratuitement des mises à jour et des fonctions logicielles non spécifiées pour ces produits. Dans le cadre de la comptabilité par abonnement, le chiffre d'affaires et le coût des produits associés à l'iPhone et à l'Apple TV ont été différés au moment de la vente et comptabilisés de manière linéaire sur la durée de vie économique estimée de chaque produit. Cela a entraîné le report de montants importants de revenus et de coûts de vente liés à l'iPhone et à l'Apple TV. Apple ayant commencé à vendre l'iPhone et l'Apple TV au cours de l'exercice 2007, la société a adopté rétrospectivement les nouveaux principes comptables comme si ces derniers avaient été appliqués à toutes les périodes antérieures ...
Comprendre les différences entre les normes comptables GAAP et IFRS est essentiel. Une même entreprise peut sembler performante sous GAAP et bien moins impressionnante sous IFRS, ou vice versa.
Le proxy statement et la lettre annuelle aux actionnaires vous informent sur la gouvernance, la rémunération des dirigeants, et leur alignement avec les actionnaires. Soyez particulièrement attentifs aux modifications rétroactives des stock-options après une baisse du cours : c’est rarement un bon signe. Cela vous économisera beaucoup de temps avant de commencer à consacrer des centaines d'heures à l'analyse de la société.
Lire les notes sur les événements : une source d’alpha ignorée
Parmi toutes les sections d’un rapport financier, la note sur les événements significatifs ou subséquents est l’une des plus sous-estimées — et pourtant, c’est souvent là que se cache une partie du futur. Ces sections, appelées "Significant Events" ou "Subsequent Events", révèlent des éléments récents ou à venir qui ne sont pas encore reflétés dans les états financiers.
Ces événements peuvent inclure l’obtention ou la perte d’un contrat important, un litige juridique, une levée de fonds, une acquisition, un changement de direction, ou même une catastrophe naturelle ayant affecté les opérations. Ils sont parfois divulgués entre la fin de la période couverte par le rapport et la publication du document.
Lire cette note peut vous fournir un catalyseur avant le marché. En effet, beaucoup d’investisseurs se contentent des chiffres principaux ou d’un survol des rapports. Identifier un événement significatif avant qu’il ne soit intégré dans les prévisions des analystes peut offrir un avantage informationnel important.
Exemple : une petite entreprise industrielle mentionne dans ses notes qu’elle a signé un contrat de 20 millions $ avec un nouveau client européen, mais ne l’a pas encore intégré dans son chiffre d’affaires car la livraison commence au prochain trimestre. Le marché n’a pas encore réagi, car cette info n’apparaît pas dans les communiqués de presse. Pour l’investisseur attentif, cela peut justifier une réévaluation immédiate du titre.
Certains événements peuvent aussi être négatifs, comme un rappel de produit, une cyberattaque ou une fermeture temporaire d’une usine. Là encore, mieux vaut les repérer avant que le marché ne les price dans le cours.
Enfin, ces notes vous permettent de tester la transparence du management. Un dirigeant qui communique ouvertement sur les risques et les événements récents, même défavorables, démontre une gouvernance plus saine qu’un autre qui tente de minimiser ou de cacher l’information.
Ne sautez jamais cette section. Elle est brève, mais souvent cruciale. C’est là que se préparent les surprises — bonnes ou mauvaises. Et dans un monde où l’information est la monnaie, cette petite note peut valoir beaucoup.
L’art d’ajuster les chiffres : la comptabilité n’est pas une science exacte
La comptabilité est un langage, mais aussi un art. Et parfois, cet art est utilisé pour embellir la réalité. C’est pourquoi j’ai appris à toujours "nettoyer" les états financiers pour me faire ma propre idée.
Les amortissements et les dépréciations peuvent être utilisés pour manipuler les profits. Il est crucial de retraiter ces postes pour avoir une vision claire et comparable. Cela peut nous aider à savoir si nous avons un CFO et un CEO prudents, ou au contraire, un jugement limite irresponsable ou trompeur. Par exemple, dans le secteur du cloud, Amazon, Google et Microsoft utilisent tous des durées d’amortissement différentes pour leurs centres de données. Une entreprise amortit ses CPU, RAM, disques sur 4-5 ans, une autre sur 7 ans. La différence de charges comptables peut fausser toute comparaison entre concurrents si elle n’est pas ajustée.
Certains dirigeants profitent des règles comptables flexibles pour inscrire de grandes charges de dépréciation lors d’une mauvaise année, créant une base faible pour rebondir artificiellement l’année suivante — une technique appelée "big bath accounting". Ce genre de manipulation ne saute pas aux yeux si l’on ne lit pas les notes explicatives aux états financiers.
Les ratios bruts comme EV/EBITDA sont encore trop utilisés malgré leurs limites. Ce ratio ignore les investissements en capital (CAPEX), et ne reflète donc pas la réalité économique d’une entreprise. Il peut être utile pour comparer des sociétés en redressement, mais pour un investisseur à long terme, il est souvent trompeur.
Privilégiez des mesures ajustées comme EV/EBIT, EV/NOPAT, ROIC et ROIIC, qui tiennent compte de la rentabilité opérationnelle réelle et du capital investi. Ce sont ces indicateurs qui vous diront si une entreprise crée de la valeur réelle.
Le vrai test d’un bon investissement est sa capacité à générer un ROIC ou ROIIC supérieur au coût du capital ajusté pour l’inflation. Cela permet d’éviter de tomber dans des value traps.
Ne faites jamais aveuglément confiance aux chiffres bruts. Nettoyez-les, ajustez-les, remettez-les en perspective. La comptabilité est malléable, mais votre analyse ne doit pas l’être.
Construire une thèse d’investissement crédible et justifiable
L’un des pièges les plus courants en investissement est de bâtir une thèse ambitieuse… sans pouvoir la justifier concrètement. Une projection de croissance ne vaut rien si elle n’est pas étayée par des éléments tangibles. Un bon investisseur doit être capable d’expliquer comment et pourquoi une entreprise atteindra les objectifs fixés dans son scénario.
Par exemple, si vous anticipez une croissance des revenus de 20 % par an pendant trois ans, vous devez être en mesure de justifier cette hypothèse. Cela peut passer par :
L’ouverture de nouveaux magasins ou points de vente.
La signature récente d’un contrat majeur avec un client important.
Le lancement d’un nouveau produit ou service, avec des projections de ventes soutenues.
Une expansion géographique dans une nouvelle région ou un nouveau pays.
L’ouverture imminente d’une nouvelle usine augmentant la capacité de production.
Une hausse confirmée des prix ou des marges, soutenue par une innovation ou une position dominante sur le marché.
Exemple : Une entreprise de biens de consommation annonce l'ouverture de 50 nouveaux magasins au Mexique et au Brésil au cours des deux prochaines années. Elle indique que chaque point de vente génère en moyenne 1,5 million de dollars de ventes annuelles. Cette donnée permet de modéliser une croissance prévisible du chiffre d'affaires avec des hypothèses vérifiables.
En revanche, une thèse fondée uniquement sur un retour à la moyenne, sans événement déclencheur ou catalyseur visible, est fragile. Il faut des éléments concrets et quantifiables pour justifier vos hypothèses clés.
Posez-vous toujours cette question : "Et pourquoi est-ce que cela devrait se produire ?" Si la réponse est vague ou basée sur un ressenti, vous devez creuser davantage.
Une thèse d’investissement solide repose sur une logique claire, des chiffres défendables, et une compréhension intime du modèle d’affaires. Plus votre thèse est simple à expliquer et à justifier, plus elle a de chances d’être correcte — et rentable.
L’importance du fonds de roulement (working capital)
Le fonds de roulement, ou "working capital", est une des composantes les plus négligées mais les plus critiques de l’analyse financière. Il représente les ressources à court terme disponibles pour faire tourner l’entreprise : stocks, créances clients, dettes fournisseurs. Une mauvaise gestion du fonds de roulement peut détruire une entreprise, peu importe sa rentabilité apparente.
Un fonds de roulement négatif peut être un excellent signe dans certaines industries (comme le retail ou les modèles à flux de trésorerie rapide), car cela signifie que l’entreprise est payée avant d’avoir à payer ses fournisseurs.
À l’inverse, un accroissement incontrôlé des comptes clients ou des stocks peut signaler un ralentissement des ventes, des problèmes d’écoulement ou une détérioration de la qualité des revenus.
Exemple de bonne gestion : Amazon a pendant longtemps bénéficié d’un fonds de roulement négatif, payant ses fournisseurs à 90 jours alors qu’elle recevait l’argent des clients immédiatement. Cela lui a permis de financer sa croissance sans diluer ses actionnaires.
Exemple de mauvaise gestion : Une entreprise industrielle qui voit ses stocks exploser sans croissance des revenus peut souffrir d’un effet ciseaux : immobilisation du cash, coûts de stockage, obsolescence, voire pertes massives.
Le fonds de roulement est aussi un indicateur indirect de la qualité du management : un bon dirigeant optimise les flux sans compromettre la croissance, en gardant un œil sur les délais de paiement, les niveaux de stocks, et la rotation des créances.
Pour l’investisseur, surveiller l’évolution du fonds de roulement d’une année à l’autre (et en proportion du chiffre d’affaires) permet d’anticiper des tensions de liquidité ou de découvrir des sociétés exceptionnellement efficaces.
Le facteur temps : l’ennemi invisible du rendement
Le rendement ne se mesure pas seulement en pourcentage, mais aussi en temps. Une opportunité qui promet 100 % de rendement peut sembler séduisante, mais si elle prend 5 ou 6 ans à se matérialiser, son rendement annualisé (IRR) devient bien moins intéressant qu’un autre investissement plus modeste mais plus rapide. Le temps est un facteur souvent ignoré, mais il a un impact direct sur votre performance globale.
Toujours comparer le rendement annualisé (IRR) au temps total nécessaire pour réaliser le gain (TRW : Time to Realize the Win). Un investissement peut avoir un bon rendement absolu mais être une mauvaise décision si le TRW est trop long.
Exemple : Si vous investissez dans une action à 10 $ et qu’elle atteint 20 $ en 5 ans, vous avez doublé votre mise. Mais cela correspond à un rendement annuel d’environ 15 %. Une autre opportunité qui vous donne 40 % en 18 mois, même si elle semble moins "sécuritaire", est en réalité beaucoup plus efficace en termes de rotation de capital.
Le facteur temps devient encore plus important dans des portefeuilles concentrés. Attendre 5 ans pour chaque idée immobilise trop de capital et réduit mécaniquement le nombre de coups que vous pouvez jouer dans une décennie.
Ne jamais faire de prédictions à plus de 2 ans. Les variables macroéconomiques, les disruptions technologiques et les changements réglementaires rendent les prévisions longues trop incertaines pour être utiles. Il est préférable de construire des thèses qui se réalisent dans un horizon de 12 à 24 mois, avec une sortie claire basée sur des catalyseurs identifiés.
Plutôt que de vous appuyer sur des modèles DCF complexes avec des taux d’actualisation arbitraires (2 %, 6 %, 10 %...), privilégiez l’usage d’un multiple de sortie conservateur basé sur l’historique du secteur ou sur des comparables directs. Cela réduit les biais et vous oblige à rester ancré dans la réalité du marché.
Exemple : Une société se négocie à 5x EV/EBIT alors que la moyenne historique du secteur est de 9x. Si votre thèse repose sur un retour à la moyenne sur 18 mois, et que vous estimez que le bénéfice reste stable, vous pouvez calculer un rendement réaliste et temporellement cadré.
Enfin, rappelez-vous que le capital bloqué est du capital qui ne peut pas être réalloué. Un investissement "potentiellement bon" dans 4 ou 5 ans a un coût d’opportunité élevé si, pendant ce temps, vous manquez de meilleures opportunités.
Un bon investissement est non seulement rentable, mais rapide à se concrétiser. Le facteur temps est invisible, mais il détermine votre capacité à générer de la performance sur la durée. Apprenez à l’intégrer dès l’analyse initiale.
Trouver des opportunités EV+ et les garder simples
Les meilleures opportunités d’investissement sont souvent les plus simples. La complexité n’est pas un gage de qualité — au contraire, elle peut masquer des risques, diluer la thèse d’investissement et rendre le suivi plus difficile. Mon expérience m’a appris que la simplicité est une arme puissante, surtout quand elle s’accompagne de rigueur.
Les micro-caps sont particulièrement intéressantes. Elles sont souvent ignorées par les analystes institutionnels, ont peu ou pas de couverture médiatique, et publient des documents financiers courts et directs. Il est ainsi possible d’avoir un avantage informationnel simplement en lisant attentivement ce que la majorité néglige.
Exemple : McCoy Global Inc., une micro-cap canadienne spécialisée dans les équipements et services destinés au secteur de l’énergie, a longtemps été ignorée par le marché. Elle possède une technologie propriétaire dans un créneau très spécifique, une base de clients fidèles à l’international, et une gestion prudente de ses liquidités. Malgré une capitalisation boursière modeste, l’entreprise affiche une position de trésorerie nette, une rentabilité positive même dans un cycle bas du secteur, et une volonté claire de créer de la valeur pour l’actionnaire, notamment via des rachats d’actions opportunistes. Sa présentation aux investisseurs tient en une quinzaine de pages, et ses rapports sont concis et transparents. Une thèse d’investissement simple : actif tangible, équipe expérimentée, marché de niche, et valorisation très basse.
L’objectif est de trouver des situations EV+, c’est-à-dire où la valeur attendue est significativement positive en tenant compte du risque, du temps, et de l’incertitude. Pour y arriver, vous devez avoir une marge de sécurité, c’est-à-dire acheter en dessous de votre estimation raisonnable de la valeur intrinsèque. C’est le cœur de l’investissement fondamental.
Un portefeuille concentré (10 à 12 positions) est idéal. Il permet de bien suivre chaque entreprise, de ne pas se disperser, et de maintenir une vraie exigence qualitative. Pour maintenir un tel portefeuille, il suffit de trouver 3 à 4 nouvelles idées solides par an, ce qui est réaliste si vous êtes discipliné et structuré.
Posez toujours la question : pourquoi cette opportunité existe-t-elle encore ? Peut-être que le marché l’ignore à cause de sa petite taille, d’un manque de liquidité, ou d’un événement temporaire mal interprété. Mais si vous ne trouvez aucune explication raisonnable, soyez prudent — il se peut que vous ayez raté quelque chose.
Autres exemples d’opportunités EV+ : Velan Inc., un fabricant québécois de vannes industrielles, dont le rachat par Flowserve a été bloqué par les autorités françaises. Cela a provoqué une chute du titre, malgré la solidité du bilan, la présence d’actifs industriels tangibles, et un carnet de commandes bien rempli. Une situation typique où l’émotion du marché crée un désalignement entre le prix et la valeur réelle.
La simplicité permet la clarté. Elle rend le suivi plus rigoureux, les erreurs plus faciles à repérer, et l’analyse plus pertinente. Dans un monde d’informations surchargées, la capacité à identifier une opportunité simple mais mal comprise est une compétence précieuse. Gardez votre processus simple, mais votre exigence haute.
Évitez les mega-caps surévaluées, privilégiez la croissance des micro-caps
Acheter une méga-cap à plus de 20-25 fois les bénéfices (P/E) est très cher, surtout dans un environnement où les taux sont plus élevés et la croissance plafonnée. Pourtant, beaucoup d’investisseurs semblent l’avoir oublié.
Les sociétés qui intègrent le S&P 500 ont, selon les statistiques historiques, 95 % de chances de ne plus y figurer dans les 25 prochaines années — que ce soit par faillite, rachat, stagnation ou perte de pertinence. Miser sur leur longévité comme garantie de sécurité est une erreur.
À l’opposé, une micro-cap en très forte croissance, même achetée à un multiple élevé comme 25x, a souvent plus de chances de succès si le modèle d’affaires est sain, les marges en expansion et le marché adressable encore large.
Ce n’est pas le niveau absolu du multiple qui compte, mais le potentiel de croissance sous-estimé et la capacité à réinvestir à haut rendement. Dans les micro-caps, vous achetez souvent avant la découverte, alors que dans les méga-caps, vous achetez après que tout le monde a déjà payé cher pour la sécurité perçue.
Focus, discipline et humilité : les piliers sous-estimés
Investir avec ambition nécessite de la concentration. Viser des rendements annuels de 15 %, 20 %, voire 30 % sans y consacrer un temps significatif est irréaliste — sauf avec beaucoup de chance, et ça, ce n’est pas une stratégie. Une bonne performance repose sur une méthode structurée, des heures d’analyse, une forte discipline mentale… et une bonne dose d’humilité.
Aujourd’hui, les marchés sont plus réglementés, plus transparents, et les investisseurs plus éduqués que jamais. Les bases de données sont accessibles à tous, les algorithmes et l’intelligence artificielle renforcent la concurrence. Penser battre le marché sans effort est une illusion dangereuse.
Même les petites capitalisations, autrefois réservées aux initiés, sont aujourd’hui bien couvertes par des investisseurs institutionnels, des newsletters spécialisées ou des plateformes collaboratives. Pour conserver un avantage, vous devez être plus rapide, plus indépendant, ou simplement plus discipliné que les autres.
La discipline, c’est savoir dire non. Ne pas céder à la pression de devoir toujours être investi. Parfois, la meilleure décision est d’attendre. Par exemple, garder du cash pendant trois mois parce que rien ne répond à vos critères est bien plus productif que de forcer un investissement médiocre.
Il faut aussi être honnête avec soi-même : peu de gens peuvent suivre activement 30 ou 40 positions. Un portefeuille concentré, suivi activement, est souvent plus performant qu’un portefeuille trop diversifié où chaque position devient floue. Connaître profondément 10 à 12 entreprises prend déjà beaucoup de temps.
L'investissement à long terme est souvent idéalisé à tort. Bien sûr, l’idée de garder une entreprise 10, 15 ou 20 ans est séduisante. Mais ces entreprises sont rarissimes. Les marchés évoluent, les cycles tournent, la concurrence change. Il est normal — et sain — de vendre après 1, 2 ou 5 ans si la thèse d’investissement a atteint son objectif ou si une meilleure opportunité se présente.
Exemple : Une entreprise que vous avez achetée à un P/E de 8 avec un catalyseur identifié (restructuration, changement de direction, désendettement) voit son multiple grimper à 18 en deux ans. Même si elle continue de croître, votre rendement futur attendu baisse. À ce moment-là, vendre pour réinvestir dans une autre entreprise plus sous-évaluée est un acte rationnel, non une trahison de la philosophie long terme.
Enfin, il faut de l’humilité. Même avec toute l’analyse du monde, vous allez avoir tort. Et parfois, vous aurez raison pour de mauvaises raisons. Acceptez-le. Apprenez. Révisez vos processus. Ce qui compte, c’est la cohérence de vos décisions dans le temps, pas la perfection de chaque position.
Le focus vous aide à aller au fond des dossiers. La discipline vous empêche de dériver. L’humilité vous maintient sur le bon chemin. Ces trois qualités sont invisibles sur une feuille Excel, mais essentielles pour durer et performer.
Miser sur un bon management, pas juste sur des chiffres
Une entreprise est souvent le reflet de son équipe dirigeante. Le CEO, le CFO, le COO et le président du conseil sont des personnes clés dont il faut analyser l’historique, les comportements et les intentions stratégiques. Une bonne équipe de direction peut transformer un modèle d’affaires ordinaire en un générateur de valeur, tandis qu’une mauvaise peut ruiner les meilleures idées.
Faites vos devoirs : recherchez leurs anciens postes, les entreprises qu’ils ont dirigées, et les résultats qu’ils ont obtenus. Un dirigeant qui a bâti une entreprise prospère de manière éthique est un signal positif. Un dirigeant qui a sauté d’une entreprise à une autre tous les deux ans sans résultats visibles peut être un signal d’alerte.
Écoutez leurs paroles et regardez leurs actions : les transcriptions d'appels trimestriels, les lettres aux actionnaires, les entrevues médiatiques sont des mines d’or. Est-ce qu’ils assument leurs erreurs ? Est-ce qu’ils parlent de croissance durable ou uniquement de bénéfices à court terme ? Est-ce qu’ils communiquent avec transparence ou utilisent des termes vagues ?
Analysez la structure de rémunération : un bon alignement entre la rémunération des dirigeants et la performance à long terme est essentiel. Par exemple, une rémunération majoritairement composée d’options avec des objectifs clairs de performance sur plusieurs années est beaucoup plus crédible qu’un énorme bonus en cash versé peu importe les résultats.
Exemples concrets de dérives : certaines entreprises technologiques ont réduit rétroactivement les prix d’exercice des stock-options après une chute du titre, ce qui récompense les dirigeants malgré un échec stratégique. D’autres ont attribué massivement des actions à des dirigeants au moment d’une levée de fonds, diluant les actionnaires existants sans justification économique.
Exemple positif : dans une micro-cap industrielle que j’ai analysée, le CEO était le fondateur de la société, possédait plus de 30 % des actions, prenait un salaire modeste, et rachetait régulièrement des actions sur le marché libre. Il faisait très peu de communication publique, mais ses décisions étaient alignées avec les actionnaires à chaque étape. C’est exactement le type de comportement que je recherche.
Le management n’est pas un facteur secondaire. Il peut faire toute la différence. Un excellent management avec un mauvais produit a parfois plus de chances de réussite qu’un mauvais management avec une idée géniale. Soyez intransigeant : vous investissez autant dans les personnes que dans les chiffres.
Le retour aux actionnaires : un facteur de performance crucial
Le retour du capital aux actionnaires est un signal puissant de maturité, de discipline financière et de respect envers les propriétaires de l’entreprise. Mais comme pour tout, ce n’est pas le geste qui compte, c’est le contexte, le timing et l’exécution.
Le free cash flow (FCF) est l’arme principale d’une entreprise pour créer de la valeur. Si elle est capable de le réinvestir dans des projets avec un ROIC supérieur au coût du capital plus l’inflation, c’est souvent la meilleure utilisation possible. Cela signifie que chaque dollar réinvesti génère plus qu’un dollar en retour.
Mais dès que ces opportunités de croissance se raréfient ou deviennent moins intéressantes, ce cash doit être retourné aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. Ce choix est stratégique et doit refléter la réalité économique de l’entreprise, pas une mode financière ou une volonté de faire monter artificiellement le cours.
Les rachats d’actions ne créent de la valeur que dans un contexte précis : quand le prix de l’action est inférieur à sa valeur intrinsèque. Sinon, l’entreprise dilapide son capital, diminue artificiellement le PER, et affaiblit son bilan.
Exemple de mauvaise exécution : une entreprise du secteur de la technologie ayant connu un pic post-COVID a dépensé 500 millions de dollars en rachats au sommet de son cours, à plus de 40x ses bénéfices. Deux ans plus tard, le titre avait perdu 60 % et la société se retrouvait endettée inutilement. Résultat : destruction de valeur, perte de crédibilité, et réduction de flexibilité.
Exemple positif : NVR Inc., un constructeur de maisons américain, est un exemple remarquable de discipline en matière de rachats d’actions. L’entreprise ne verse pas de dividende mais utilise systématiquement son free cash flow pour racheter ses propres actions, et ce depuis plus de 20 ans. Ces rachats sont faits de façon opportuniste, souvent à des niveaux de valorisation attractifs. Résultat : le nombre d’actions en circulation a été réduit de plus de 75 %, tout en maintenant une structure financière conservatrice, avec très peu de dettes et une rentabilité exceptionnelle. NVR est un modèle d’allocation de capital rationnelle dans un secteur pourtant très cyclique.
Les dividendes, quant à eux, sont souvent sous-estimés dans le monde de l’investissement moderne. Pourtant, ils constituent un véritable moteur de performance à long terme, surtout lorsqu’ils sont réinvestis. Une entreprise qui verse un dividende régulier et croissant, tout en gardant une politique d’endettement saine, montre sa capacité à générer du cash réel et durable.
Attention aux secteurs cycliques comme les mines, l’énergie ou la construction. Dans ces industries, les flux de trésorerie peuvent fluctuer énormément selon les cycles économiques ou les prix des matières premières. Dans ce cas, il est préférable de constituer une réserve ou de verser un dividende variable, plutôt que de s’engager dans des buybacks qui peuvent se révéler désastreux en période de retournement.
Un bon retour au capital est un acte de gestion responsable. Il reflète la confiance de l’entreprise dans sa capacité à générer du cash et dans la valorisation de ses propres actions. Mais il doit être basé sur une analyse rigoureuse, non sur des signaux de façade.
Apprendre, documenter, répéter
Investir, c’est aussi apprendre constamment et bien s’outiller. Un investisseur ne cesse jamais de progresser, car chaque cycle de marché, chaque entreprise, chaque erreur apporte de nouvelles leçons.
Tenez une base de données personnelle et structurée : que ce soit via un fichier Excel, une application maison ou un logiciel dédié, documentez chaque idée d’investissement, avec les hypothèses de départ, les catalyseurs, les risques, les mises à jour, et les résultats. Cela vous permet de mesurer votre progression, mais aussi de tirer des leçons concrètes de vos erreurs.
Fiez-vous aux sources officielles : rapports annuels (10-K), rapports trimestriels (10-Q), proxy statements (DEF 14A), transcriptions d’appels, dépôts SEDAR ou EDGAR. Évitez les plateformes qui résument ou interprètent les données sans transparence sur leurs méthodes. Une simple mauvaise interprétation sur Seeking Alpha, par exemple, peut vous faire rater un détail crucial.
Les 5 livres à lire absolument pour bien débuter :
Valuation (7e édition)
Value Investing
Pitch the Perfect Investment
Financial Intelligence
The Personal MBA
Les appels aux actionnaires sont une mine d’or : vous y entendrez les dirigeants parler de leur réalité opérationnelle, de leurs craintes, des tendances macro sectorielles, de la concurrence. Ce sont souvent les premières sources à mentionner des pressions sur les marges, une hausse des coûts logistiques, ou un changement réglementaire à venir dans un pays.
Les appels aux actionnaires sont une meilleure source macroéconomique que les rapports d’économistes : ils vous parlent directement de ce que vivent les entreprises sur le terrain.
Exemple : lors d’un appel trimestriel d’une entreprise de transport canadienne, le CEO a brièvement mentionné que l’accès au port de Vancouver allait être temporairement restreint en raison de travaux. Cette information, absente du rapport écrit, s’est révélée critique pour l’un de leurs segments logistiques, impactant fortement le trimestre suivant.
Enfin, développez un processus répétable. L’analyse d’une nouvelle entreprise devrait suivre les mêmes étapes que la précédente. Cela réduit les biais, améliore la rigueur, et vous donne des points de comparaison utiles.
L’apprentissage est un avantage cumulatif. Plus vous êtes structuré dans votre façon d’apprendre et de documenter, plus votre jugement devient affûté avec le temps.
Règles finales, philosophie personnelle et convictions personnelles
Les ratios comptables sans ajustement peuvent être plus nocifs qu’utiles. Faites toujours vos propres calculs.
Vous n’avez pas besoin de briller intellectuellement : le but est de gagner de l’argent avec cohérence.
Cherchez constamment des décisions EV+ avec des marges de sécurité — cela reste la boussole principale. Ne dérogez jamais à cette règle.
N’investissez jamais dans ce que vous ne comprenez pas.
Toujours répondre à la question : pourquoi cette opportunité existe-t-elle ? Pourquoi est-ce que vous avez raison, et le marché tort ?
Un bon writeup fait rarement plus de 5 pages. Ce n’est pas la longueur qui fait la qualité, mais la clarté.
N’essayez pas d’être le plus intelligent dans la pièce. Essayez d’être le plus lucide.
Conclusion
Après cinq années d’investissement actif, une chose est claire : ce métier demande de la rigueur, du réalisme et de l’humilité. Il ne s’agit pas d’avoir toujours raison, mais d’éviter les grosses erreurs, de chercher la vérité économique derrière les chiffres, et de prendre le temps de bien faire les choses.
Gardez votre processus simple, soyez curieux, remettez-vous en question, et souvenez-vous que ne rien faire est souvent une excellente décision.
Dans un monde bruyant, l’investisseur discipliné et silencieux a encore toutes ses chances.
-Max